1.
Unheimlich
I: Dialogue secret est le premier volet d’un triptyque
qui, dans son ensemble, durera plus de six heures. Il constitue la continuation
de notre réflexion imagée sur le corps féminin, l’identité
et l’inconscient.
2. Pour nos
quatre premiers films et films/actions qui composent la Tétralogie
corporelle (Double Labyrinthe,
1976, L’Enfant qui a pissé des paillettes,
1977, Soma, 1978 et Arteria
Magna in dolore laterali, 1979) nous avons travaillé à
deux, ce procédé créatif faisant partie de l’énoncé
de nos œuvres: abolition des rôles, abolition des hiérarchies
de tout ordre, création égalitaire.
Dans Unheimlich I: Dialogue secret,
pour la première fois nous élargissons le champ en incluant
d’autres femmes (neuf participeront à l’ensemble du projet). Dans
ce premier volet, excepté nous-mêmes, participe également
Elia Akrivou, comédienne principale de notre groupe de théâtre
expérimental à Athènes (1968-74) formée par
notre Atelier du Jeu de l’Acteur.
3. Le titre. Unheimlich,
le terme rendu fameux par Freud, désigne le déconcertant,
l’étrangement inquiétant, l’énigmatique, le familier
tourné en étrange, le refoulé qui se montre à
nouveau.
«On appelle "unheimlich" tout ce
qui devrait rester secret, caché et qui se manifeste» (Schelling).
Jentsch met en relation l’effet de "unheimlich"
avec l’impression que produisent la crise épileptique et les manifestations
de la folie.
«L’unheimlich surgit souvent et
aisément chaque fois où les limites entre imagination et
réalité s’effacent, où ce que nous avions tenu pour
fantastique s’offre à nous comme réel, où un symbole
prend l’importance et la force de ce qui était symbolisé»...
(Freud)
L’inquiétante étrangeté
qui émane du silence, de la solitude, de l’obscurité.
Dialogue secret entre les participantes.
Entre les participantes et la caméra. Entre les participantes, la
caméra et les spectateurs.
Ce film est complètement silencieux
(comme Double Labyrinthe et Arteria Magna). Le silence est
écoute.
4. Identité.
Identité
de femme. La structure imaginaire du corps propre. Substitution du sujet
au personnage fictif. Métamorphoses du sujet.
5. L’artifice.
Le maquillage, le masque, le costume: vocabulaire paroxystique qui rend
le corps l’équivalent projectif du sujet uni à la réalité
interne de son désir. L’artifice: ce par quoi le corps devient inaccessible.
6. Le miroir.
Une longue séquence avec des miroirs occupe la partie centrale du
film. Le thème du miroir traverse tous nos films depuis Double
Labyrinthe. L’image du corps dédoublée et redoublée
par les miroirs. Le reflet et le double. Dédoublement du moi «car,
primitivement le double était une assurance contre la destruction
du moi, un énergique démenti à la puissance de la
mort» (O. Rank). Dans l’espace spéculaire le sujet se saisit
comme un autre et l’autre est l’image de soi.
7. Le feu.
Avant dernière séquence. Montage structurel. Le visage de
Maria Klonaris dévoré par les flammes. Identité sorcière.
8. La structure chromatique
du film. La couleur a ici une importance majeure. La gamme des couleurs
utilisée est restreinte: le noir, le blanc, l’or, l’argent, la couleur
de peau, de pain, de bois. Couleurs signifiantes. Juxtaposition des contraires,
heurt et harmonie du négatif et du positif. Plans trompe l’œil:
du noir et blanc en couleurs.
9. Le fond noir.
Absence
obsessionnelle de l’environnement démarquant l’émergence
d’un espace intérieur. L’environnement nié est remplacé
par l’espace clos: l’enclos fantasmatique.
10. Le mouvement
de la caméra. Caméra de Maria Klonaris filmant Katerina
Thomadaki et Elia Akrivou: lenteur, immobilité, glissements imperceptibles,
écoute qui situe les visages entre le domaine du vivant et du définitif.
Sensualité de l’écoute. Caméra des états hypnoïdes.
Caméra de Katerina Thomadaki filmant
Maria Klonaris: mouvements abruptes, délibérés, rythmés
et répétitifs. Caméra trépidente. Saccadée
mais géométrisée, la trace du geste du corps filmant
s’imprègne sur le corps filmé.
11. Rotation. Mouvement
spiroïdal. Danses labyrinthiques. Le thème labyrinthique marque
le mouvement des participantes (Elia Akrivou et Katerina Thomadaki dans
leurs danses répétées) ainsi que le mouvement des
objets et de la caméra.
12. L’immobilité.
Notre violence est celle des choses immobilisées et ainsi rendues
absolues. L’immobilité poursuivie jusqu’au plan fixe extrême:
la diapositive.
13. L’abstraction.
Dissolution
des images concrètes par des mouvements rapides de la caméra.
Les formes abstraites: point culminant et ponctuation entre les séquences.
Masses ou lignes colorées en mouvement dans l’immobilité
ou la lenteur des séquences.
14. La structure
globale du film. Dialectique entre les passages où figurent
Elia Akrivou et Katerina Thomadaki et ceux où figure Maria Klonaris.
Les premiers paraissant une émergence lente d’un lieu au delà
du réel, les deuxièmes faisant irruption comme une mise en
crise de l’inconscient.
15. Les écrans.
Dernière séquence: refilmage d’un écran vide, multiplié
par des prismes. Procédé de démythification de la
projection dans le sens analytique du terme. Mise en évidence de
l’écran: c’est sur cet espace vide que se projettent les images
qu’un sujet entraîne avec lui, les scènes qui le hantent,
les travestissements de son désir. Le fantasme est “l’écran
fondamental du réel” (Lacan).
Dans cette dernière séquence
nous inscrivons sur film le procédé d’éclatement de
l’écran que nous avons réalisé dans la performance
de projection
Soma (1978).
“Et comme d’autre part, toute projection
soumise à l’automatisme de répétition ne cesse de
revenir, en la modifiant plus ou moins profondément, à cette
distinction primordiale entre le subjectif et l’objectif, l’inquiétante
étrangeté paraît inhérente à l’acte même
de projeter où elle signifie que le sujet s’est aliéné
une partie de lui-même qu’il perçoit comme un autre.” (Sami-Ali)
M.K. - K.T., 1979 |