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Je vole au dessus
des images, là je vois des corps, des formes, des surfaces, un manque
de couleur, le noir et blanc comme écriture, comme signe, comme
lettre - un message qui ne peut être transmis qu'à travers
ces corps différents, le corps comme écran, comme une surface
de réception de quelque chose d'invisible, quelque chose qui vient
derrière l'écran, quelque chose qui vient d'ailleurs, d'un
lieu que nous ne pouvons pas voir. Ce que nous savons de ce lieu appartient
au monde d'une connaissance très ancienne, qui existe bien avant
le langage de notre technologie, et qui en même temps est là,
présent, en nous, derrière nous, caché quelque part
au delà, et comme des aveugles nous avons besoin d'un autre sens
pour le lire, pour le comprendre, il nous parle constamment, mais nous
avons du mal à l'entendre, à comprendre la langue, alors
il y a ces corps, comme des antennes qui reçoivent des messages.
C'est pourquoi ici je ne trouve pas de corps au sens de présences
physiques, non, ces corps sont des instruments pour des projections extrasensorielles.
C'est pourquoi il n'y a pas d'êtres humains dans ce film, même
si nous ne voyons presque que des êtres humains en train d'agir,
mais d'une certaine façon ils ont abandonné leur état
physique pour s'ouvrir à autre chose, c'est une quête très
attentive, lente, sans précipitation, en vagues, ils se rapprochent
du point recherché, ils entourent ce quelque chose que nous ne pouvons
pas expliquer, qui est encore caché, mais nous avons une idée
de ce que cela pourrait être, et nous avons le sentiment que nous
en faisons partie, quelque chose qui nous relie tous ensemble - serait-ce
le féminin? je n'en suis pas sûre.
[...]
(Le secret travaille - si nous lui donnons
un espace pour exister, le secret nous parle, très intimement et
dans le silence).
Le miracle de Unheimlich I: Dialogue
secret c'est le TEMPS - ce paradoxe de ralentir les mouvements et à
travers cette lenteur laisser filer le temps, les soixante quinze minutes
du film passent très vite... Alice derrière les miroirs...
D'une certaine manière nous sommes
hors-temps, hors des lois de notre monde, l'écran est le point de
rencontre de deux mouvements, de deux systèmes différents,
l'un qui se trouve devant lui et l'autre derrière lui, l'écran
est comme un mur, une cellule où l'image n'apparaît que pour
disparaître l'instant prochain, et cela n'appartient qu'au film,
au celluloïd, à la lumière. Le monde des images se matérialise
juste pour se dématérialiser au prochain moment. Ah, ça
c'est le cinéma, ce profond miracle.
[...]
Ute Aurand, Berlin, mai 1995 |