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Si les premiers
portraits que nous avons réalisés au début de notre
pratique filmique en Grèce (1968-73) rendent surtout compte d’attachements
affectifs et que leur geste est celui d’une prise de parole spontanée,
émue, le double autoportrait Double Labyrinthe
(1976) qui initie une nouvelle étape dans notre pratique, restitue
un espace délibérément intérieur, un temps
transformé, des événements agis de l’autre côté
du miroir. Dès lors, notre scène privilégiée
sera celle de l’inconscient et de l’imaginaire.
La mise en place du procédé
de la réversibilité des rôles filmante/filmée
(nous passons successivement derrière et devant l’objectif) tient
d’une intention de démontage de certains schémas idéologiques:
bouleverser les rôles figés, abolir les rapports de pouvoir,
demeurer sujet au sens fort du terme des deux côtés
de la caméra. Ainsi l’existence d’un sujet filmant, traditionnellement
sujet du désir, ne suppose plus un objet filmé / objet
du désir, mais, par un renversement désaliénateur,
l’objet du regard se transforme à un degré tel par
son propre imaginaire, qu’il s’impose comme sujet regardé.
Nous introduisons alors le terme “actante”
pour désigner notre fonction devant l’objectif - par opposition
au terme actrice. Nous intitulons notre cinéma
corporel.
Cinéma du corps révolté mais aussi sublimé,
ritualisé, traversé par la réapparition du multiple,
du baroque, du magique, de l’archaïque, lieu passionné de la
manifestation du dedans, espace mental, imaginaire et projectif. Le corps
de l’actante s’ouvre tout entier à l’émergence du moi. Sa
représentation est une auto-représentation. Mais cette auto-représentation
passe inévitablement et voluptueusement par le regard de l’Autre,
celle qui filme, de sorte que le film se construise au carrefour de deux
désirs, de deux identités. Rencontre d’inconscients. Entrelacs
et chiasme. Miroir réciproque.
Cette problématique qui traverse
toute la Tétralogie corporelle
nous a menées à une réflexion renouvelée sur
le portrait. Le processus relationnel fait le noyau des Portraits
de femmes que nous réalisons depuis 1979 parallèlement aux
cycles mythologiques de l’Unheimlich
et des Hermaphrodites, même
si cette fois-ci les actantes ne participent pas à l’inversion des
rôles filmante/filmée pratiquée entre nous.
Au lieu d’identité il vaudrait mieux
parler ici de mystère, de glissement dans la pénombre de
l’Autre/filmée. Le pouvoir évocateur de sa présence
attirée et attirante devient l’élément structurant
par excellence du langage filmique. Fondement de la construction syntaxique
de l’œuvre, le “fascinant” opère comme un révélateur
à double tranchant: miroir rompu et restitué où on
reconnaît à la fois le sujet filmant et le sujet filmé,
comme si chacun faisait partie de l’autre. Le portrait s’articule comme
un effet de langage à double provenance engendré par une
résonance mutuelle profonde. Conjonction dans l’imaginaire.
M.K. - K.T., 1984
(extrait de Portraits
/ Miroirs, Cinéma du Musée national d'art moderne, Centre
Georges Pompidou, 1984) |
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