En 1985 nous avons
commencé à travailler sur un document médical: une
photographie d'hermaphrodite que Maria Klonaris a trouvée dans les
archives de son père, gynécologue chirurgien. Le document,
de photographe anonyme et non daté, représente un sujet de
sexe feminin avec un corps d'homme. Personnage mystérieux, aux yeux
bandés, dont le sexe intermédiaire, autant que la stature,
nous a amenées à l'associer a l'Ange.
Anghelos, messager selon l'étymologie
grecque, l'ange dans les gnoses néoplatonicienne et zoroastrienne,
ainsi que dans les théologies chrétienne, judaïque et
islamique, revêt une fonction théophanique. Il représente
le lien entre le monde sensoriel empirique et le mundus intellectualis.
Il est considéré comme une entité médiane qui
surgit de l'abstraction du monde imaginal pour s'intégrer au cadre
anthropomorphique de notre monde: une non-image qui se convertit en image.
En 1985 nous commençons à
explorer cet inconnu: le concept de l'Ange par la médiation d'un
sujet intersexuel. Nous sommes guidées par une photographie médicale.
Une photographie médicale, mais une photographie exceptionnelle,
où le corps différent ne se laisse pas réduire à
un simple objet d'observation clinique, à un simple lieu offert
à la domination du regard sous couvert d'objectivité scientifique.
Une photographie, une scène photographique, où se produit
un étrange retournement: le sujet photographié semble transcender
le contexte médical pour interroger les limites de la condition
humaine sexuée.
Ce corps intersexuel incarne la contestation
contemporaine de la frontière étanche entre les sexes. Il
inscrit dans l'histoire humaine un rêve privé et public de
la fin du XXe siècle, rêve d'une identité sexuelle
restructurée - double, multiple, ou transitoire.
Mais ce corps brise la frontière
non seulement entre le féminin et le masculin, mais aussi entre
l'abstrait et le concret, le mythologique et l'incarné, l'imaginaire
et le palpable, le concept et la forme.
M.K. - K.T.
(extrait de Le
Cycle de l'Ange. Archangel Matrix, Paris, A.S.T.A.R.T.I., 1996) |