Klonaris/Thomadaki
Manifeste pour une féminité radicale
pour un cinéma autre

Katerina Thomadaki dans L'Enfant qui a pissé des paillettes

“C’est dans le sexe féminin que l’orgasme nous reste le plus énigmatique,
le plus fermé peut-être jusqu’ici, dans sa dernière essence,
jamais authentiquement situé” [1]

 
 

1. AUTOUR D'UNE CULTURE FEMININE: EVIDENCES

La culture existante est une culture à dominante masculine, créée par l’homme à son image/profit.

La femme a contribué à sa création,mais surtout comme support de l’ “esprit” masculin. Dans cette culture la femme est quasi absente. Inconnue. Ignorée. Muette. Prisonnière. Méprisée. Déformée. Enigmatique. Fermée.

Dans cette culture la féminité n’est qu’une projection masculine.

La culture féminine est à créer.

Elle se crée déjà par les femmes insoumises à l’ordre de l’homme.

C’est par cette culture que la femme pourra conquérir les territoires politiques nécessaires pour son épanouissement.

Tout acte créateur féminin qui met en évidence l’écart entre l’image d’une féminité générale, uniforme et fabriquée par l’homme et l’identité spécifique, unique et auto-révélée par la femme contribue à la création de cette culture.

“Ceci mis à part, je pense de plus en plus qu’il faudrait se garder de sexualiser les productions culturelles: ceci serait le féminin, ceci le masculin. Le problème me semble autre: donner aux femmes les conditions économiques et libidinales pour analyser et dialectiser l’opression sociale et le refoulement sexuel, de sorte que chacune puisse réaliser ses particularités, ses différences, dans ce qu’elles ont de singulier, produites par les hasards et les nécessités de la nature, des familles, de la société.” [2]

La culture féminine ne peut qu’être en rupture avec la culture dominante.

Ne peut qu’être une négation du langage dominant.

Ne peut que rejeter les procédés de la création dominante.

Ne peut que faire émerger tout ce que l’ordre social opprime dans la personne: corps, désir, sexualité, inconscient, singularités.

Ne peut que mener à l’irruption du refoulé révolté dans les normes des expressions.
 

2. VISION D'UNE FEMINITE RADICALE

Une féminité radicale ne peut que rompre, casser, briser, déchirer tout ce qui pèse sur elle et la contraint.

Ne peut qu’inventer, éclater.

Arrachant ses inventions au plus profond, au plus sombre de ses entrailles. Donnant naissance à son identité.

Une féminité radicale ne peut qu’être une harmonie entre les traits dits féminins et les traits dits masculins.

Une symbiose d’énergies “femelles” et “mâles”.

Ne peut qu’être un équilibre entre le sexe physiologique et le sexe mental, subjectif.

Ne peut que réunir des pulsions contradictoires et/mais complémentaires.

Une féminité radicale ne peut qu’être un tout - ni fragment, ni manque, ni insuffisance.

Une yoghini manifestant une énergie serpentine de sa vulve.
 

3. PASSION DE LA CREATION RADICALE: CE CINEMA AUTRE

Insoumission. Indépendance. Rupture. Autonomie.

Déchirer la dépendance économique du cinéma à grandes salles, à grands budgets, à grande consommation, à grands moyens, à grande dépendance.

Déchirer les images illustratives prisonnières des fables sociales vendues par le cinéma capitaliste.

Briser l’académisme du regard entretenu par l’industrie de l’image.

Briser les notions préfabriquées de “réel”, de “naturel”, de “normal”, d’ "objectif”, de "compréhensible”, alibis d’une société qui ne produit que des névroses propagées par les mass media.

Briser le cloisonnement des spécialités.

Briser les hiérarchies et les rôles.

Briser le miroir de la femme fabriquée, l’actrice passive, celle qui obéit, celle qui se laisse faire, celle qui médiatise pour l’orgasme d’un étranger. Casser vitres et miroirs. 

Je sors.

Une féminité radicale ne peut s’épanouir que dans une création radicale.

Je fabrique mes propres images.

J’invente ma vision ni “naturelle”, ni “normale”, ni “objective”, mais réelle puisqu’elle surgit du désir et compréhensible si l’on oublie ce que les institutions nous ont enseigné à comprendre.

Je libère mon introspection.

J’expose mes racines et mes douleurs: enfance, désir, révolte, répression, torture, vieillesse, mort.

J’expose mes couleurs archétypiques et sociales: le rouge, le noir, le blanc, le rose, l’or, l’argent.

Je mets en scène mes structures mentales, mes géométries.

Mon image corporelle s’inscrit sur la pellicule.

Je m’ouvre à vous par mon corps sentant et sensible. Mon corps de femme sujet.

Je vous livre les rituels de mon identité.

Hémorragie d’identité non médiatisée par quelqu’un d’autre mais assumée par moi-même devant vous.

Je vous regarde.

Je vous interroge.

J’accouche d’un film AUTRE.
 
M.K. - K.T., octobre 1977
(CinémAction I, Dix ans après mai 68, Aspects du cinéma de contestation, Paris, 1978)
 


[1] Jacques Lacan, “L’angoisse”. Cité par Irène Diamantis in “Recherches sur la féminité”, Ornicar? Analytica, vol. 5.
[2] Julia Kristeva “Unes femmes”, propos recueillis par Eliane Boucquey, Les Cahiers du GRIF n° 7, Juin 1975

Maria Klonaris dans L'Enfant qui a pissé des paillettes

Toutes les photos sont réalisées par Klonaris/Thomadaki sauf mention contraire
Photo 1: Katerina Thomadaki dans L'Enfant qui a pissé des paillettes
Photo 2: Maria Klonaris dans L'Enfant qui a pissé des paillettes

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