Lorsque la photo, image mystérieuse, immatérielle,
rencontre l’Ange, non-être consubstantiel au rêve et à
l’exaltation poétique, les artifices de la création se multiplient
au service du plus grand étonnement. Il faudrait interroger les
origines de Klonaris et Thomadaki pour dévoiler le secret de cette
présence hallucinante qui hante leur imaginaire depuis déjà
dix ans. Mais les clés d’une herméneutique quelconque seraient
vite jugées réductrices, tant l’incantation de cet art “achéropoïète”
éblouit la conscience.
L’image matricielle, concrète et tangible,
mise en abyme par toutes ces triturations qui ne sont possibles que sur
terre photographique, se métamorphose et se désincarne jusqu’à
l’intouchable grâce à l’action purificatrice de la lumière.
“AggeloV prwtostathV ouranoqen
epemfqh...”. Certes, c’est du ciel de la culture
grecque si peuplé de divinités que cette figure ailée
est arrivée dans le monde de la technologie pour introduire tempêtes
électriques, séismes et incendies.
A l’encontre de certaines figures ailées antiques,
elle incarne la spiritualité d’une icône byzantine miraculeusement
sauvée des secousses iconoclastes. Objet de contemplation et d’extase,
épiphanie pétrie d’ombre et de lumière, elle est le
tremplin qui nous porte à l’ascèse.
Klonaris et Thomadaki, à travers un long parcours
au cours duquel toutes les possibilités de la photographie (chimique,
électronique, numérique) ont été exploitées,
poussent le pari de la variation jusqu’à créer des centaines
de versions parfaitement différentes et essentiellement identiques.
Dans Archangel Matrix les artistes tentent,
dans une nouvelle mise en scène, de porter encore plus loin l’envol
fixe de cet Ange qui n’a point cessé de féconder leur inépuisable
invention.
La photo de ce corps fin et ambigu, luminescente,
pelliculaire, vibratoire, est dans l’espace comme un météore.
Fixée à la verticale et nimbée de la lumière
“noire” qui semble en émaner, elle impose sa force insistante et
emblématique. Projetée sur un écran, elle déploie
densité et transparence. La figure déjà familière
de l’Ange, insensée à force d’être saturée de
sens, conciliante, trans-identitaire, rayonne comme une constellation.
Libérée de la plus infime pesanteur, elle hante le lieu de
l’exposition qui devient sanctuaire de rites cosmiques, espace captivant
et libérateur.
Eurydice Trichon-Milsani
(préface pour Archangel
Matrix. Le Cycle de l'Ange, catalogue de l'exposition Klonaris/Thomadaki
dans le cadre du Mois de la Photo à Paris, éditions A.S.T.A.R.T.I.,
1996) |