1. A
l'origine de ce livre il y eut deux objets, un document médical
et un pan de ciel. Le document présente un corps nu au jeune torse
viril et à la fente de nymphette. Pour la pause un bras fut accolé
au corps et l'autre obliquement tendu. Le cadrage coupe près du
haut les cuisses. Le yeux ont été bandés par discrétion,
non pour que le sujet ne puisse voir mais pour qu'on ne voit pas qui a
posé nu. Le ciel se montre tel qu'on ne le voit jamais, au niveau
maximal de définition en chaque point, photographié (j'imagine)
par téléscope en quelque haut lieu a l'atmosphère
raréfiée et a degré nul d'hygrométrie.
Le travail de Maria Klonaris et Katerina
Thomadaki met l'hermaphrodite en surimpression avec les astres ou avec
elle-même, en jouant sur une combinatoire de films transparents,
au positif ou en négatif, et de trames bougées pour creuser
les noirs, pour susciter des effets de relief, de matière. Parmi
deux cents épreuves, ou variations du thème, seize ont été
choisies.
Tirage par phototypie (par transfert de
photos sur plaque de verre, non sur rouleau de métal). Impression
des images sur vélin d'Arches et du texte sur papier Japon, un yuki
de
70 grammes à fils de soie.
Depuis que le ciel a été
photographié, les galaxies ont bougé, surtout les plus lointaines.
Où est-il ce corps qui nous troubla?
Probablement il a pourri.
[...]
3.
L'horizon du trou noir (ou le firmament des nymphettes)
Les anges sont des esprits du ciel, les
astres sont leur corps en gloire. Aux justes qui dorment sous la poussière
de la terre, le prophète Daniel a promis qu'ils se lèveront,
qu'ils monteront briller dans la splendeur du firmament.
L'hermaphrodite aux yeux bandés
dort sous la poussière des étoiles. Le monticule de son sexe
chauffé à blanc resplendit, en pur éclat de nymphescence,
et autour de la fente menue s'est éversée la Voie Lactée.
L'astrophysique nous enseigne que lorsqu'un
noyau stellaire en implosion est d'une masse supérieure au seuil
d'Oppenheimer-Volkoff, la pression de dégénérescence
des neutrons ne suffit plus pour résister aux forces gravifiques
et l'effondrement se poursuit jusqu'au stade du trou noir. La concentration
de matière déforme la géométrie locale à
tel point que rien, même pas la lumière, ne peut plus s'échapper.
Les astronomes disent d'un trou noir qu'il "n'a pas de chevelure": sa matière
perdant toute spécificité, l'objet n'est caractérisé
que par sa masse (de densité infinie) et son moment cinétique
(en rotation extrême). L'espace-temps s'incurve puis se retourne
comme un doigt de gant. La surface n'est pas une enveloppe matérielle
mais un horizon-événement qui sépare deux aires entre
lesquelles toute communication est impossible. Un peu comme le firmament
de la Genèse sépare les eaux d'en haut et d'en bas.
Ou comme la membrane hymen d'une hermaphrodite vierge.
Les yeux bandés, le
sexe à nu, l'ange est en feu.
Ce trou noir où par
excès de gravité la courbure de l'espace devient négative,
je ne me le représente pas.
Ce temps semblable à
une Voie Lactée où les noyés remontent à reculons,
je ne me le représente pas. Si le temps remonte à vitesse
infinie, il n'y a plus au monde que du présent?
Le sexe ni l'ange n'est
objet de représentation.
[...]
Bernard Teyssèdre
(extraits
de
la préface du livre d'artiste Incendie de l'Ange, Paris,
éditions Tierce, 1988) |