Klonaris/Thomadaki

Six Regards sur le sexe de l'Ange

Bernard Teyssèdre


Angélophanies
 
1. A l'origine de ce livre il y eut deux objets, un document médical et un pan de ciel. Le document présente un corps nu au jeune torse viril et à la fente de nymphette. Pour la pause un bras fut accolé au corps et l'autre obliquement tendu. Le cadrage coupe près du haut les cuisses. Le yeux ont été bandés par discrétion, non pour que le sujet ne puisse voir mais pour qu'on ne voit pas qui a posé nu. Le ciel se montre tel qu'on ne le voit jamais, au niveau maximal de définition en chaque point, photographié (j'imagine) par téléscope en quelque haut lieu a l'atmosphère raréfiée et a degré nul d'hygrométrie.

Le travail de Maria Klonaris et Katerina Thomadaki met l'hermaphrodite en surimpression avec les astres ou avec elle-même, en jouant sur une combinatoire de films transparents, au positif ou en négatif, et de trames bougées pour creuser les noirs, pour susciter des effets de relief, de matière. Parmi deux cents épreuves, ou variations du thème, seize ont été choisies. 

Tirage par phototypie (par transfert de photos sur plaque de verre, non sur rouleau de métal). Impression des images sur vélin d'Arches et du texte sur papier Japon, un yuki de 70 grammes à fils de soie.

Depuis que le ciel a été photographié, les galaxies ont bougé, surtout les plus lointaines. 

Où est-il ce corps qui nous troubla? Probablement il a pourri.

[...]

3. L'horizon du trou noir (ou le firmament des nymphettes)

Les anges sont des esprits du ciel, les astres sont leur corps en gloire. Aux justes qui dorment sous la poussière de la terre, le prophète Daniel a promis qu'ils se lèveront, qu'ils monteront briller dans la splendeur du firmament.

L'hermaphrodite aux yeux bandés dort sous la poussière des étoiles. Le monticule de son sexe chauffé à blanc resplendit, en pur éclat de nymphescence, et autour de la fente menue s'est éversée la Voie Lactée.

L'astrophysique nous enseigne que lorsqu'un noyau stellaire en implosion est d'une masse supérieure au seuil d'Oppenheimer-Volkoff, la pression de dégénérescence des neutrons ne suffit plus pour résister aux forces gravifiques et l'effondrement se poursuit jusqu'au stade du trou noir. La concentration de matière déforme la géométrie locale à tel point que rien, même pas la lumière, ne peut plus s'échapper. Les astronomes disent d'un trou noir qu'il "n'a pas de chevelure": sa matière perdant toute spécificité, l'objet n'est caractérisé que par sa masse (de densité infinie) et son moment cinétique (en rotation extrême). L'espace-temps s'incurve puis se retourne comme un doigt de gant. La surface n'est pas une enveloppe matérielle mais un horizon-événement qui sépare deux aires entre lesquelles toute communication est impossible. Un peu comme le firmament de la Genèse sépare les eaux d'en haut et d'en bas. Ou comme la membrane hymen d'une hermaphrodite vierge.

Les yeux bandés, le sexe à nu, l'ange est en feu.
Ce trou noir où par excès de gravité la courbure de l'espace devient négative, je ne me le représente pas.
Ce temps semblable à une Voie Lactée où les noyés remontent à reculons, je ne me le représente pas. Si le temps remonte à vitesse infinie, il n'y a plus au monde que du présent?
Le sexe ni l'ange n'est objet de représentation.

[...]
 
Bernard Teyssèdre
(extraits de la préface du livre d'artiste Incendie de l'Ange, Paris, éditions Tierce, 1988)

Toutes les photos sont réalisées par Klonaris/Thomadaki sauf mention contraire
Photo: Angélophanies

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