Dans la salle qui
s’ouvre derrière le balcon, au fond, contre le cadre noir de la
fenêtre centrale, est suspendue une très grande photographie,
très blanche, de l’Ange. D’immenses ailes grises portent ce corps;
dans le buste, on devine au travers de voiles, en surimpression, sa présence
dédoublée, plus grande: des lèvres au creux de l’épaule;
en place du sexe, une absence. De part et d’autre de cette photographie,
devant les deux autres fenêtres noires, d’immenses ailes blanches,
illuminées de turquoise. Devant l’image, au sol, dans un cercle
de terre, se tient un paon; flamboyant de vert émeraude et de bleu
océan, magnifique, les plumes de sa queue toutes déployées
font une ombre elliptique et légère sur le mur. Au centre
de la pièce se trouve un grand triangle d’étoiles, projection
d’une diapositive. L’Ange, aérien, semble flotter dans cet espace
aux lumières douces, au-dessus de ce triangle qui troue le sol.
Dans l’encadrure de la porte du mur de droite, une image rétro-projetée
de poudres de couleurs bleue, turquoise et jaune d’or, en très gros
plan - poussières stellaires, souvenirs chtoniens... Des voix disent
encore et encore la force première et libre du corps - au féminin
-.
“... Elle ne devrait pas exister / Elle
existe...”
Mais avant, on aura rencontré, se
tenant à l’entrée, un être étrange.
Il se tient là, immobile. Les bras
légèrement ouverts, les yeux bandés de noir, Elle
nous accueille. Il porte une longue robe de satin blanc, avec des perles
de nacre sur les poignets. Une armure de cuir noir couvre son buste. Son
port est fier. Ses cheveux courts et bruns soulignent son visage un peu
anguleux de garçon. Ses lèvres de porcelaine rose sont entr’ouvertes,
comme se portant à la hauteur des nôtres. Derrière
Elle, un mur inquiétant, blanc illuminé de bleu, avec de
larges taches jaunâtres. A ses pieds, deux grandes ailes noires déployées,
sur lesquelles est posé un gant de fer.
Quelle est cette figure baroque, frère
et sœur à la fois du jeune garçon rêveur? Androgyne
offrant à l’Ange son double sexe, Elle unit la puissance et la fragilité
en une si indissociable osmose que celle-ci ne serait relever que d’une
chimie mystérieuse. Peut-être est-ce l’Ange qui a combattu
l’iguane au détour du labyrinthe. Mais maintenant, Il a laissé
tomber ses grandes ailes noires. Le gant de fer dans sa main droite est
prêt de glisser. Sereine, Elle s’offre, Elle est offerte, corps d’amour.
Mais peut-Elle être saisie?
“... Elle échappe à toute
forme et contient toutes les formes
Réalité sans figure,
sans chiffre, sans nom encore
Elle ne peut être saisie que
par l’amour
Elle ne peut être saisie que
par l’amour...”
De son regard aveugle, Il observe, au-delà
du triangle d’étoiles, un miroir, sur le mur du fond. Quand on se
tient près d’Elle, on peut y voir le reflet d’une photographie en
noir & blanc de deux fillettes, marquée en son centre d’un néon
bleu vertical. Les deux sœurs sont dans leur prime enfance; la plus agée
a des sandales aux pieds, la plus jeune mord le bout de son index; toutes
deux portent l’ébauche d’un petit pénis dans leur triangle
pubique.
“... Elle refuse de se faire traiter
de cas clinique
Elle échappe depuis toujours
à toute tentative de normalisation
Elle est entière
Elle refuse le traitement d’hormones
Elle ne veut rien faire pour ressembler
Elle ne ressemble pas
Elle est fière
Elle a 2000 ans
Elle vient de naître...”
Dans cette “Chambre des ailes” à
l’atmosphère si troublante, l’Ange, l’Androgyne et les enfants hermaphrodites,
présences intenses, se répondent derrière leurs masques.
Leur dialogue, pour peu qu’on l’entende, donne la clef: “L’Ange, c’est
l’Insaisissable de l’Autre”.
En se promenant dans ce champ triangulaire,
on se sent des pieds d’argile et de courants de flammes douces comme de
lointaines brûlures de désir: il y a un état de rêverie
où le corps dans sa profondeur fait un avec l’infini et où
l’image n’existe que comme élan amoureux. L’Ange a toujours été
là: c’est ce qu’on sent quand s’éteint ici la colère
qui fait s’élever contre les catégories sociales du sexe
et que s’apaise l’impuissant malaise à être un corps sexué.
Cette nébuleuse noire sous son ventre, ce triangle d’étoiles,
ce sexe d’Ange, quel rêve impossible, nostalgique peut-être,
d’une immense jouissance cela nous évoque-t-il?
•
La dernière pièce, petite
enclave, c’est “La Chambre d’amour”. Sur trois écrans vidéo
superposés, des mains caressent, en surimpression, le corps de l’Ange
qui passe à la verticale. Cela fait un effet de cinématographie.
Une robe blanche est suspendue sur la droite et trois rangées de
treize bougies brûlent sur un candélabre noir sur la gauche.
Au centre, une grande image de l’Ange, au corps irradiant des poussières
d’une nébuleuse éclatée. Devant elle, au sol, un grand
miroir carré, posé en losange. Y ont été déposées
des roses roses et des roses d’argent et d’or. Une voix dit en anglais
la Lettre d’amour inscrite sur l’image. L’infini nocturne y rejoint
les profondeurs secrètes du corps:
“...L’horizon comme pendant un orage
L’horizon comme pendant l’amour.”
L’immensité de l’Intime. |