Sandra
LAHIRE a
prématurément disparu en juillet
2001 des suites de complications post-chirurgicales. Avec Johnny Panic elle
venait de compléter sa
trilogie filmique inspirée de Sylvia Plath (1932-1963),
dont l'œuvre et le destin l'avaient bouleversée.
En même temps, elle s'était engagée
dans une recherche de doctorat, restée inachevée,
autour de l'héritage de Sylvia Plath dans l'art
et du concept freudien de "l'inquiétante étrangeté".
Sandra
LAHIRE est
arrivée au cinéma avec
une formation interdisciplinaire solide: études
de philosophie (University of Newcastle-on-Tyne), de
cinéma plastique (St. Martin's School of Art)
et de médias environnementaux (Royal College of
Art). Elle s'est associée au mouvement du cinéma
expérimental britannique autour de la London Filmmakers'
Coop et du Lux Center for New Media. Nous avons lié amitié dès
notre première rencontre à Londres dans
les années 80.
Malgré maintes
difficultés matérielles,
Sandra poursuivait sans relâche son chemin créatif.
Elle était incisive, généreuse,
lumineuse, traversée par une vision poétique
forte d'une intégrité humaine. Penseuse
lucide et imagiste délicate, elle a laissé un
héritage filmique qui culmine dans la Sylvia
Plath Trilogy. Ses combats politiques - féminisme,
lesbianisme, écologie
- cristallisés autant dans des films que dans
des textes, apportent à ses œuvres une tension égale à leur
pulsation poétique.
La disparition
de Sandra LAHIRE nous
a laissé le
sentiment d'une mort symbolique. Il y a des morts qui
sont symboliques, comme si celle ou celui qui meurt portait
une marque qui dépassait l'existence individuelle,
une marque qui exigeait l'expiation d'une souffrance
collective. Comme si la blessure sociale avait atteint
l'abîme du corps. Blessure de l'inadaptation des
vies poétiques intenses que la société s'applique à détruire,
marquages identitaires - celui de l'holocauste (Sandra était
d'origine juive) ou celui de l'homosexualité.
Expiation, au fond, de la condition d'exilé.e,
de ces exils non-géographiques, de ces périphéries
fragiles mais transformatrices de la société et
du monde, de ces intérieurs psychiques luxuriants
qui ne connaissent pas de concession. Sandra fréquentait
ces territoires poétiques dont parlait Maya Deren
et pour lesquels la vie vaut la peine d'être vécue.
C'est dans ces lieux ombrageux et limpides que son art
a respiré et grandi, c'est dans ces lieux qu'elle
s'est forgé ses armes.
Sa
perte est la perte d'une puissance. D'une puissance
de femme
et d'artiste engagée, d'une puissance
de poète, d'une puissance cristalline, gravée
exactement dans ce cristal irisé nécessaire à la
survie du rêve et de la dignité du monde.
Maria
Klonaris / Katerina Thomadaki
Paris, janvier 2007
(in "SO BRITISH!", catalogue du Festival International
de Films de Femmes de Créteil, 2007)
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