JE/FEMME, AUTOREPRESENTATION
ET INTERCORPOREITE
Il y a deux périodes bien distinctes
dans notre parcours: celle de la Tétralogie
corporelle (Double Labyrinthe,
1976, L’Enfant qui a pissé des paillettes,
1977, Soma, 1978, Arteria
Magna in dolore laterali, 1979) et celle du Cycle
de l’Unheimlich (Unheimlich I: Dialogue
secret, 1977-79, Unheimlich II: Astarti,
1980 ...).
Dans la première période,
notre champ d’intervention est celui de l’identité et de la relation
interpersonnelle. C’est le je/femme qui est questionné, médité,
mis en images. Double Labyrinthe apparaît comme la matrice
de tous les thèmes et de tous les procédés que nous
avons par la suite développés: le premier regard sur nous-mêmes,
l’amorce de l’approche de l’autoreprésentation comme quête
d’identité et comme prise de possession de notre propre image. L’autoreprésentation
est double: à la fois on se regarde et on regarde l’autre, le moi
et l’autre envahissant tour à tour notre espace expressif et perceptif.
Passer devant et derrière l’objectif, cet œil ouverture au monde,
c’est détruire les dichotomies classiques sujet/objet, agir/transcrire,
voir/être vue. De cette fluidité, de cette double stimulation
des regards, de cet entrelacs de deux corps et de deux imaginaires,
émerge le langage intercorporel que nous n’avons cessé d’approfondir
depuis. Double Labyrinthe est aussi le moment où l’inconscient
devient tangible. C’est un film entièrement silencieux, comme le
seront plus tard Arteria Magna in dolore laterali, Unheimlich
I: Dialogue secret,
Unheimlich II: Astarti... Silencieux comme
les rêves.
Ouverture
est un film sans film, une action in vivo qui opère la mise
en évidence du (de notre) dispositif cinématographique. Avec
L’Enfant
qui a pissé des paillettes nous abordons le thème de
l’enfance et celui du désir et de la sexualité féminine.
Je(u):
une enfance funèbre en est la première partie, le début
d’un parcours qui passe par un acting out de la mort à la
naissance, ayant lieu dans l’ambiguïté du couple mère/fille,
fillette/poupée et qui aboutit à l’éclat de la re-naissance
à travers la rencontre avec l’Autre / femme.
Le retentissement sensoriel et mental de
l’image du corps féminin et de son érogénéité
diffuse fait le pivot de l’étude intercorporelle dans Soma.
Après avoir exploré le corps libidinal, nous abordons le
thème de la douleur, ou plus précisément celui de
la mémoire du corps confronté à un traumatisme déterminant
dans Arteria Magna in dolore laterali.

DU JE/FEMME AU FEMININ
Le Cycle de l’Unheimlich opère
le passage du je/femme au concept de féminin. “On appelle Unheimlich
tout ce qui devrait rester secret, caché et qui se manifeste” (Schelling).
Le féminin associé à l’Unheimlich évoque
le refoulé qui réapparaît, l’inquiétante étrangeté,
le déconcertant, ce que “nous avons tenu pour fantastique et qui
s’offre à nous comme réel”. Dans le Cycle de l’Unheimlich
nous tentons de retrouver, d’inventer les traces d’un féminin profond,
irréductible, en possession de lui-même, autonome et non pas
un mirage de la fantasmatique mâle qui s’applique à le mythifier
tout en le gardant en état de subordination. Le féminin prend
la parole en se mettant en images. Car, tout compte fait, nous ne sommes
que des rêveuses d’images. Au fond de chaque image nous assistons
à notre naissance.
Dans Dialogue secret, le féminin
se multiplie par des travestissements incessants, redoublé et dédoublé
par des miroirs, serein ou frénétique. Astarti part
d’une relecture du féminin mythologique. Astarti la lunaire, la
nocturne, émerge des souterrains ténébreux. Astarti
en tant que concept féminin, mémoire, menace et mort.
Dans le Cycle de l’Unheimlich participent
d’autres femmes excepté nous deux: Elia Akrivou dans Dialogue
secret, Parvaneh Navaï dans Astarti, d’autres dans les
volets qui suivront. Ce qui pour nous est extrêmement important,
c’est que, dans notre démarche elles demeurent sujets, qu’elles
ne sont jamais réduites à l’objet/actrice. Elles sont invitées
à apporter leur propre univers, le réseau de leur propre
mental et, à chaque fois, la rencontre est fascinante dans sa différence.
La rencontre, dialogue secret, a toujours lieu à l’intérieur
d’une vision silencieuse. Ce sont les êtres même qui se révèlent
du fond de leur silence.
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