“C’est dans
le sexe féminin que l’orgasme nous reste le plus énigmatique,
le plus fermé peut-être
jusqu’ici, dans sa dernière essence,
jamais authentiquement situé”
[1]
1. AUTOUR D'UNE
CULTURE FEMININE: EVIDENCES
La culture existante est une culture à
dominante masculine, créée par l’homme à son image/profit.
La femme a contribué à sa
création,mais surtout comme support de l’ “esprit” masculin. Dans
cette culture la femme est quasi absente. Inconnue. Ignorée. Muette.
Prisonnière. Méprisée. Déformée. Enigmatique.
Fermée.
Dans cette culture la féminité
n’est qu’une projection masculine.
La culture féminine est à
créer.
Elle se crée déjà
par les femmes insoumises à l’ordre de l’homme.
C’est par cette culture que la femme pourra
conquérir les territoires politiques nécessaires pour son
épanouissement.
Tout acte créateur féminin
qui met en évidence l’écart entre l’image d’une féminité
générale, uniforme et fabriquée par l’homme et l’identité
spécifique, unique et auto-révélée par la femme
contribue à la création de cette culture.
“Ceci mis à part, je pense de plus
en plus qu’il faudrait se garder de sexualiser les productions culturelles:
ceci serait le féminin, ceci le masculin. Le problème me
semble autre: donner aux femmes les conditions économiques et libidinales
pour analyser et dialectiser l’opression sociale et le refoulement sexuel,
de sorte que chacune puisse réaliser ses particularités,
ses différences, dans ce qu’elles ont de singulier, produites par
les hasards et les nécessités de la nature, des familles,
de la société.” [2]
La culture féminine ne peut qu’être
en rupture avec la culture dominante.
Ne peut qu’être une négation
du langage dominant.
Ne peut que rejeter les procédés
de la création dominante.
Ne peut que faire émerger tout ce
que l’ordre social opprime dans la personne: corps, désir, sexualité,
inconscient, singularités.
Ne peut que mener à l’irruption
du refoulé révolté dans les normes des expressions.
2. VISION D'UNE
FEMINITE RADICALE
Une féminité radicale ne
peut que rompre, casser, briser, déchirer tout ce qui pèse
sur elle et la contraint.
Ne peut qu’inventer, éclater.
Arrachant ses inventions au plus profond,
au plus sombre de ses entrailles. Donnant naissance à son identité.
Une féminité radicale ne
peut qu’être une harmonie entre les traits dits féminins et
les traits dits masculins.
Une symbiose d’énergies “femelles”
et “mâles”.
Ne peut qu’être un équilibre
entre le sexe physiologique et le sexe mental, subjectif.
Ne peut que réunir des pulsions
contradictoires et/mais complémentaires.
Une féminité radicale ne
peut qu’être un tout - ni fragment, ni manque, ni insuffisance.
Une yoghini manifestant une énergie
serpentine de sa vulve.
3. PASSION DE
LA CREATION RADICALE: CE CINEMA AUTRE
Insoumission. Indépendance. Rupture.
Autonomie.
Déchirer la dépendance économique
du cinéma à grandes salles, à grands budgets, à
grande consommation, à grands moyens, à grande dépendance.
Déchirer les images illustratives
prisonnières des fables sociales vendues par le cinéma capitaliste.
Briser l’académisme du regard entretenu
par l’industrie de l’image.
Briser les notions préfabriquées
de “réel”, de “naturel”, de “normal”, d’ "objectif”, de "compréhensible”,
alibis d’une société qui ne produit que des névroses
propagées par les mass media.
Briser le cloisonnement des spécialités.
Briser les hiérarchies et les rôles.
Briser le miroir de la femme fabriquée,
l’actrice passive, celle qui obéit, celle qui se laisse faire, celle
qui médiatise pour l’orgasme d’un étranger. Casser vitres
et miroirs.
Je sors.
Une féminité radicale ne
peut s’épanouir que dans une création radicale.
Je fabrique mes propres images.
J’invente ma vision ni “naturelle”, ni
“normale”, ni “objective”, mais réelle puisqu’elle surgit du désir
et compréhensible si l’on oublie ce que les institutions nous ont
enseigné à comprendre.
Je libère mon introspection.
J’expose mes racines et mes douleurs: enfance,
désir, révolte, répression, torture, vieillesse, mort.
J’expose mes couleurs archétypiques
et sociales: le rouge, le noir, le blanc, le rose, l’or, l’argent.
Je mets en scène mes structures
mentales, mes géométries.
Mon image corporelle s’inscrit sur la pellicule.
Je m’ouvre à vous par mon corps
sentant et sensible. Mon corps de femme sujet.
Je vous livre les rituels de mon identité.
Hémorragie d’identité non
médiatisée par quelqu’un d’autre mais assumée par
moi-même devant vous.
Je vous regarde.
Je vous interroge.
J’accouche d’un film AUTRE.
M.K. - K.T., octobre
1977
(CinémAction I,
Dix ans après mai 68, Aspects du cinéma de contestation,
Paris, 1978)
[1] Jacques
Lacan, “L’angoisse”. Cité par Irène Diamantis in “Recherches
sur la féminité”,
Ornicar? Analytica, vol. 5.
[2] Julia Kristeva “Unes
femmes”, propos recueillis par Eliane Boucquey, Les Cahiers du GRIF
n° 7, Juin 1975 |